L’aide médicale à mourir : rapports et surveillance

L’importance de la surveillance

Une série spéciale de billets des conseillers de la NPPV

Par Eric Wasylenko, conseiller de la NPPV

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C’est à titre de médecin de soins palliatifs, de spécialiste de l’éthique clinique appliquée et de conseiller de la Norme sur la protection des personnes vulnérables que je rédige un billet pour le blogue. J’ai participé très activement à la conception et à l’implantation du programme d’aide médicale à mourir dans une province canadienne en plus d’avoir enseigné les implications de cette nouvelle pratique et pris part à des examens informels de l’aide médicale à mourir à l’échelle provinciale et nationale. Les points de vue que je partagerai dans ce billet sont les miens et ne représentent aucunement les organisations et organismes avec qui je collabore. Je m’exprime publiquement en tant que médecin qui ne fournira pas l’aide médicale à mourir, et c’est très sciemment que j’enseigne les attitudes et les compétences qui favorisent le non-jugement des patients et des collègues sans égard pour la voie qu’ils choisissent, ainsi que le non-abandon des patients que nous servons.

Peu importe le rôle que jouent les engagements personnels d’une personne par rapport à la division morale que suscite la participation à l’aide médicale à mourir, tout notre travail est guidé par un grand ensemble de principes qui incluent la justice et l’équité pour les membres de la société. C’est pourquoi, quelque deux ans depuis le jugement de la Cour suprême dans l’affaire Carter c. Canada et 22 mois depuis la promulgation de la nouvelle loi canadienne, je demeure préoccupé par le manque de normes provinciales, territoriales et nationales régissant la collecte de données, la production de rapports sur les actions et les expériences de même que la surveillance robuste des pratiques relatives à l’aide médicale à mourir. La production de rapports périodiques et systématiques dans d’autres pays qui ont légalisé l’aide médicale à mourir nous a beaucoup appris, et ces rapports ont orienté l’implantation de politiques et de règlements au Canada. Il nous incombe de contribuer à cet ensemble de données au fur et à mesure que nous aiguillons d’autres États et que nous examinons nos propres programmes sur une base continue.

Bien que tout un chacun devrait à juste titre être traité de façon juste et équitable, il m’apparaît que nous avons un devoir particulier de garantir le plus de justice et d’équité possible aux personnes vulnérables. Une personne qui est vulnérable d’une manière ou d’une autre supportera potentiellement des fardeaux plus lourds en raison de l’application non équitable des programmes et des ressources ou bien en raison de décisions sur l’évaluation de son admissibilité qui ne sont pas prises de manière uniforme parmi les territoires et les fournisseurs.

Le gouvernement a tenté d’assurer les Canadiens et les Canadiennes que l’aide médicale à mourir est disponible et accessible de façon juste aux personnes qui remplissent les critères établis par la loi. Fait important, le gouvernement a également tenté de rassurer les Canadiens et les Canadiennes en affirmant que des mesures concrètes seraient prises de telle sorte que les personnes ne connaissent pas la mort avec l’aide médicale lorsque leur décision est susceptible d’être causée par une vulnérabilité excessive ou d’avoir été prise dans un moment de faiblesse. Qui plus est, le gouvernement a promis qu’il continuerait de protéger le droit de conscience des fournisseurs, qu’il fallait l’harmoniser avec le droit de chercher à obtenir de l’aide à mourir. Afin de garantir le respect de ces trois importantes conditions, le Canada doit exiger a) une collecte vigoureuse et obligatoire de renseignements utiles, b) la production de rapports publics sur ces renseignements et c) la surveillance des pratiques au moyen de la collecte, de la production de rapports et de l’analyse de renseignements uniformes.

Il ne faut pas sous-estimer les facteurs personnels, moraux et émotionnels sous-jacents à cette décision qui met un terme à la vie, tant pour le patient, sa famille et ses fournisseurs de soins. Certains fournisseurs s’opposeront farouchement à cette pratique en toutes circonstances, alors que d’autres y seront farouchement favorables et iront même jusqu’à faire des revendications pour changer la loi et la pratique. Enfin, d’autres se situeront entre ces deux pôles. On peut très facilement imaginer qu’aux extrêmes, la décision prise puisse aisément favoriser la position bien arrêtée d’un fournisseur. Il ne s’agit pas ici de critiquer les évaluateurs, mais bien de reconnaître la partialité humaine et les limites de l’objectivité. La société, en partie parce qu’elle est consciente de la partialité derrière les décisions, s’attend à pouvoir mesurer comment s’exerce dans les faits une nouvelle pratique importante à haute valeur morale. On ne laisse pas de tels événements cliniques entièrement sans surveillance. À juste titre.

Comment peut-on savoir si les pratiques sont conformes aux fondements de la loi, à savoir l’accès équitable, la protection des personnes vulnérables et l’harmonisation du droit de conscience?

Bien que la description statistique précise des pratiques qui ont cours soit nécessaire, je suis d’avis qu’elle est insuffisante pour informer pleinement la pratique clinique, les législateurs, les responsables des politiques, les régulateurs, les patients potentiels et la société de façon générale. Je crois plutôt que les éléments essentiels devraient à tout le moins inclure :

  1. Les motifs des demandes, y compris l’état des souffrances qui ont incité une personne à vouloir se prévaloir de ce système pour mourir.
  2. Des rapports qui s’appuient sur une évaluation valide standardisée des conditions de vulnérabilité auxquelles une personne est peut-être exposée.
  3. Les efforts déployés pour informer la personne et accéder aux services susceptibles de soulager ses souffrances et de prendre en charge ses conditions de vulnérabilité.
  4. Des renseignements statistiques détaillés pour avancer les recherches et les analyses au sujet des habitudes dans cette pratique et des caractéristiques des prises de décision (la liste suivante n’est pas exhaustive) : le problème de santé et les comorbidités qui motivent la demande, le lien entre l’évaluateur et le patient, le nombre d’évaluations de l’admissibilité, l’intervalle entre l’évaluation et la décision de procéder ou non, la durée du délai délibéré avant de procéder lorsqu’une personne est déclarée admissible, les raisons pour lesquelles une personne est déclarée non admissible, les mesures de soutien utilisées par les personnes qui ont été déclarées non admissibles, si un aiguillage a été requis ou non, le lieu de la mort, la voie d’administration, le temps qui s’est écoulé entre l’administration de la substance et la mort, de même que les complications observées.
  5. Il est selon moi primordial, pour bien comprendre les nuances profondes en jeu, de trouver un moyen de recueillir une description narrative de l’expérience vécue par : les patients qui cherchent d’avance des renseignements sur cette option; les patients qui cherchent directement cette option; les membres de leur famille; les patients qui ont choisi de remettre cette action à plus tard après avoir été déclarés admissibles; les patients qui n’ont pas été déclarés admissibles; les patients qui se sentaient poussés à prendre une décision en particulier; les cliniciens qui reçoivent la demande initiale; les cliniciens qui remplissent le rôle d’évaluateurs; les cliniciens qui fournissent l’aide à mourir; et les cliniciens qui prennent en charge les autres besoins continus du patient. Les participants ne seront pas tous disposés ou aptes à produire une description narrative, mais je crois que nombre d’entre eux aimeraient exprimer leurs points de vue et leurs sentiments afin de mieux informer les autres à la lumière de leurs expériences.

Il va sans dire que la collecte, l’analyse et le rapport visant tout renseignement de cette nature doivent respecter les lois sur la protection des renseignements personnels et notre devoir de confidentialité.

Les efforts supplémentaires requis pour recueillir et transmettre une bonne partie de ces renseignements seront perçus comme un obstacle. Les services gérés de manière centralisée sur un territoire sont les mieux placés pour assurer la collecte et le rapport de ces renseignements de façon standardisée, étant donné que ces systèmes de gestion aident toutes les parties à naviguer dans les décisions entourant l’aide médicale à mourir, à évaluer les demandes à cet effet et à éventuellement fournir l’aide médicale à mourir. Les renseignements narratifs devraient compléter les données statistiques, et des efforts seront exigés de chaque province et territoire pour recueillir et rapporter des renseignements standardisés et harmonisés à l’échelle nationale. Cette tâche ne peut pas être entièrement confiée aux cliniciens. De surcroît, on s’attendra à un engagement pour une recherche qualitative rigoureuse fondée sur les expériences des participants.

Eric Wasylenko est un médecin de soins palliatifs et un éthicien clinique de l’Alberta. À l’heure actuelle, il consacre la majorité de son temps au Health Quality Council of Alberta. Outre ces fonctions, il conseille plusieurs organisations du domaine de la santé et des ministères à l’échelle provinciale et nationale. Il a également une nomination professorale à l’Université de Calgary et à l’Université de l’Alberta.